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Histoire du Harar… et du café

La légendaire Harar

Harar est l’une des villes légendaires de l’Antiquité africaine. Pendant des siècles elle fut interdite aux étrangers parce qu’un saint musulman avait prédit sa perte si l’un d’entre eux y pénétrait. Les chrétiens qui tentaient d’enfreindre cette règle étaient décapités. On laissait les marchands africains dehors, à la merci des lions. Ils n’auraient guère été plus en sécurité à l’intérieur des murs. Les hyènes rôdant dans les rues se repaissaient des sans-domiciles. La sorcellerie était florissante, ainsi que l’esclavage, en particulier le commerce bien connu des eunuques dont les harems turcs se portaient acquéreurs. Au début du XIXe siècle, enfermée derrière ses murailles la ville était tellement isolée qu’une langue spéciale s’y était développée. On la parle encore aujourd’hui.

Une telle réputation attira les aventuriers européens les plus intrépides. Nombreux furent ceux qui essayèrent d’y pénétrer et nombreux ceux qui moururent jusqu’à ce qu’en 1855 Sir Richard BURTON, l’Anglais qui découvrit la source du Nil, y parvienne, déguisé en Arabe. La ville tomba peu après.

De tous les premiers visiteurs européens de Harar, le plus intéressant est cependant le poète français Arthur RIMBAUD. Venu à Paris alors qu’il n’avait pas encore dix-sept ans, il y avait mis en œuvre son célèbre « dérèglement de tous les sens » pendant un an et s’était fait la réputation d’être l’individu le plus dépravé de la capitale. À dix-neuf ans, son chef-d’œuvre Une saison en enfer, était écrit.  À vingt ans, il avait renoncé à la poésie et avait disparu.

Le poète n’avait pas disparu lorsqu’il avait abandonné la poésie en 1875.

Il avait retrouvé l’usage des ses sens et était devenu marchand de café à Harar. Faire commerce du café n’était pas la seule raison qui avait poussé Rimbaud à se rendre en Éthiopie. En réalité il mettait en œuvre un passage d’Une saison en enfer où il annonçait qu’il irait dans les contrées aux « climats perdus » dont il reviendrait « avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux ». C’était l’action, le danger et l’argent qui l’attiraient. Il trouva en partie ce qu’il cherchait à Harar. L’émir avait été déposé vingt ans plus tôt et la tension était encore forte dans la ville. Les négociants en café français avaient besoin d’un individu assez fou pour accepter de risquer sa vie pour des grains qui se vendaient d’ailleurs cent dollars la livre. Rimbaud était leur homme.

Que Rimbaud ait risqué sa vie pour des graines de café (qui causèrent en effet sa mort) n’est donc peut-être pas si extravagant. Il faut cependant noter que le poète marchand n’appréciait guère le café de Harar. Dans une lettre, il le déclare horrible et dégoûtant. Bon. Les années passées à boire de l’absinthe avaient émoussé le palais. L’habitude locale de  mêler des crottes de chèvre aux graines vendues y était peut-être aussi pour quelque chose.

Le grand poète français avait passé les derniers jours de sa vie à Harar avec la seule présence de son domestique bien-aimé. Il n’avait écrit aucun poème et, dans ses lettres, il se plaignait de la solitude, de la maladie et de problèmes financiers, et évoquait la tentative désastreuse qu’il avait faite pour vendre des armes au roi du Choa, Ménélik. Il ne rentra pas en France avec des « membres de fer » comme il l’avait prédit. Il en revint délirant et sans un sou.

Il  y mourut le 10 novembre 1891 à Marseille.

Extrait du livre Le breuvage du diable de Stewart Lee Allen chez PAYOT

Photos ©DR-Rimbaud à Aden en 1880